Shinto - Ramatuelle
Takama-no-hara     .O
Ame-no-minaka-nushi-no-kami     .1
Taka-mi-musubi-no-kami       .2
Kami-musubi-no-kami     .3
Takama-no-hara     .O




AUX SOURCES DU JAPON : LE SHINTO, par Jean Herbert
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. . . « Un principe significatif et fondamental du Shintô est celui de musubi. J. W. T. Mason dit fort justement que c'en est le mot le plus lumineux (enlightening). On peut traduire musubi par « l'esprit de naissance et de devenir ; également la naissance, l'accomplissement, la combinaison, les puissances de création et d'harmonisation (1) ». Il embrasse tout, y compris les Kami, et même Maga-tsu-hi, cause de tout mal, doit être compris comme une « déviation » de musubi (2).
. . . De nombreux Kami sont plus directement liés au principe de musubi : Taka-mi-musubi et Kami-musubi, qui forment la première dualité divine et par le pouvoir créateur de qui (musubi-no-mitama) le Ciel et la Terre, tout les autres Kami et tous les phénomènes sont venus à l'existence (3), Ho-musubi-no-kami, Waku-musubi-no-kami, Iku-musubi-no-kami et Taru-musubi-no-kami, Ho-no-hiko-musubi-no-kami, etc.
. . . Atsutane Hirata enseigne dans son Koshiki-den que dans musubi, musu (d'où proviennent musuko, le fils et musume, la fille [4]) signifie engendrer, tandis que bi ( = hi) est un terme archaïque qui s'applique à tout ce qui est merveilleux, miraculeux, digne de se voir rendre des honneurs ineffables, et par excellence au Soleil.
. . . Comme on pouvait s'y attendre, le concept de musubi a donné lieu à d'interminables spéculations dans les milieux ésotériques. Nous citerons, à titre d'exemple et en utilisant sa propre terminologie, un seul auteur récent, Chikao Fujisawa. Selon lui, musubi doit être considéré comme une abréviation de mi-musubi, où mi signifie trois parce que le cours de son évolution « vitalistique » est triple : expansion, contraction, évolution ; musu vient d'umursu, « l'acte d'engendrer », mais signifie, quelle que soit son étymologie, produire, féconder, brasser (au sens utilisé en brasserie), fermenter, etc. ; bi ( = hi) désigne le soleil, le feu, la lumière, l'âme, la Divinité, etc. Musubi, par conséquent, sur le plan tangible, signifie le Soleil, qui engendre ou fait germer, tandis que sur le plan intangible c'est une puissance dynamique unissant une paire d'opposés corrélatifs tels que l'homme et la femme, le jour et la nuit, le sujet et l'objet. Ainsi, seule la récupération « déflationniste » de la signification du terme musubi
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. . . 1. Basic Terms of Shintô, op, cit, p.31 (compiled by the Jinja-honchô, the Kokugakuin University and the Institute for Japanese culture and classics, Tôkyô, 1958)
. . . 2. Akira Nakanishi.
. . . 3. Nobunaga Motoöri.
. . . 4. Qu'en français on a déformé en mousmé.
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peut nous ouvrir la voie pour que nous triomphions de l'antinomie entre la subjectivité religieuse et l'objectivité scientifique. En bref, musubi se confirme comme un processus dialectique en se conformant auquel le Soleil engendre tous les êtres, animés ou inanimés. Le mouvement positif de musubi déifié en Taka-mi-musubi-no-kami est l'énergie mâle qui avance, expansive, qui enfle, exhale, diversifie et ramifie, celle qui se révèle dans les saisons du printemps et de l'été qui exhalent, enflent et diversifient. Son mouvement passif par contre, déifié en Kami-musubi-no-kami, est l'énergie femelle qui recule, contracte, absorbe, inhale, unifie ou réintègre, celle qui se révèle dans les saisons de l'automne et de l'hiver qui inhalent, fanent et unifient. Les forces duelles polarisées dans ce phénomène de récurrence périodique sont aussi appelées saki-mitama et kushi-mitama. Le saki-mitama est l'Esprit divin qui pousse l'arbre à donner des branches et des fleurs, ce qui explique pourquoi Taka-mi-musubi est souvent appelé Taka-ki-no-kami, le Kami des hautes futaies, en ce sens que la croissance d'un arbre révèle de façon palpable le processus dialectique de musubi. Le kushi-mitama par contre est l'Esprit divin qui dépouille l'arbre de son feuillage luxuriant et oriente son énergie vitale vers la croissance des racines souterraines. Le mot kushi, d'ailleurs, désigne aussi le « peigne » avec lequel on ordonne les chevelures en désordre et la « broche » sur laquelle on réunit les gâteaux de riz japonais pour les faire cuire. Il y a encore une signification de musubi : achèvement ou conclusion, ce qui se réfère évidemment au pouvoir synthétiseur déifié en Ame-no-minaka-nushi-no-kami, l'Auguste Divinité Centre du Ciel. C'est grâce à la médiation de cette Divinité tout unifiante que se réalise harmonieusement la confluence des forces cosmiques croissantes et décroissantes (waxing and waning). L'emblème shinto représentant trois figures en forme de virgules en rotation, symbolise la triade des mouvements dynamiques de musubi dont il a été parlé. Il faut mentionner en particulier que le concept dynamique d'élan vital qui a rendu célèbre dans le monde entier la philosophie d'Henri Bergson doit être compris comme la force inscrutable de pulsion qui est toujours à l'œuvre derrière le processus de l'évolution. Nous autres néo-shintôistes considérons que l'élan vital de Bergson est identique à musubi, qui n'est autre chose que durée pure, n'ayant ni commencement ni fin. Aussi est-il compréhensible que Bergson ait fait allusion à un centre d'où vie et matière sont projetées comme un feu d'artifice dans une vaste illumination.
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. . . p. 118
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. . . Nous pourrions citer sur musubi de nombreuses autres théories qui sur certains points concorderaient avec celle de Fuji-sawa et sur d'autres s'en écarteraient.
. . . J. T. W. Mason fait observer avec raison que ce concept de musubi « élimine du Shintô une philosophie mécaniste dans laquelle la vie est soumise à la direction d'une Divinité lointaine ou dominée par la Destinée ou par n'importe quel principe d'inéluctable causalité ».
. . . Incidemment, musubi, en permettant cette combinaison de la tradition et du progrès (1) est ce qui permet au Shinto de conserver intactes ses traditions tout en s'adaptant continuellement aux changements incessants de la vie.
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. . . Un caractère très particulier du pur Shinto est qu'il n'offre aucun code moral reconnu. En général, les étrangers ont vu là une imperfection haïssable ; les missionnaires chrétiens en ont tiré argument pour soutenir que le Shinto ne mérite pas d'être considéré comme une religion. C'est d'ailleurs un fait que lorsque le Bouddhisme pénétra au Japon, un de ses attraits fut qu'il apportait un code de moralité fort détaillé, chose jusqu'alors inconnue et même insoupçonnée dans le pays. Les critiques des Occidentaux à cet égard, même si elles se sont un peu atténuées avec un début de compréhension, n'en sont pas moins ressenties d'autant plus vivement que les rapports internationaux se resserrent, et c'est une des raisons pour lesquelles dans divers milieux shinto on s'efforce maintenant d'élaborer un code moral quelque peu standardisé, du genre de ceux auxquels nous sommes accoutumés.
. . . Tout cela ne devrait cependant pas nous faire penser que l'absence d'un tel code dans le Shinto est un signe soit d'une immaturité comme religion, soit d'une organisation insuffisamment poussée de la société, ni qu'elle est le résultat d'une simple omission par négligence. De cette absence on peut trouver diverses justifications parfaitement valables ; nous en indiquerons brièvement quelques-unes.
. . . Du point de vue métaphysique et cosmogonique, l'homme, dans le Shinto, n'a pas été créé par les Dieux comme dans le Christianisme ; il est biologiquement leur descendant en ligne directe. Il est donc tout naturel et normal que sa vie se modèle plus ou moins sur la leur. Or, nous savons que dans les divers Panthéons, qu'ils soient grec, hindou ou judéo-chrétien, les Dieux n'appliquent pas des règles de moralité comparables à celles que les hommes ont progressivement élaborées pour instituer une vie en société telle que nous la connaissons. . . . . »
. . . (Le Shinto échappe a tout dogme religieux, il n'impose aucun canon, aucune règle de comportement. Il ne prêche aucun Salut, n'impose aucune croyance religieuse et donc aucune conversion. Ne parle ni du bien ni du mal. Le Shintô ne prêche aucune morale et ne condamne pas les âmes qui en manquent.)
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. . . 1. Akira Nakanishi.
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. . . p. 119
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. . . Aux sources du Japon ; le Shintô, par Jean Herbert, Paris, Albin Michel, 1964
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